Yvain de Galles

Les 15, 16 et 17 août 2003, Mortagne-sur-Gironde a honoré la mémoire d’une personnalité hors du commun, qui a laissé une trace indélébile dans l’histoire du site : le chevalier Yvain de Galles. Ami de Charles V et Du Guesclin, vaillant combattant auprès des armées de France contre les anglais, il mourut tragiquement 1378 lors du siège du Château de Mortagne.
Sources :
Bryan DAVIES « Yvain de Galles, Prince de Gwynedd et chevalier de France, env.1335-1378 – Une histoire brève ». Traduction française par M.Claude POULAIN, juin 1998.
Remerciements :
Office de Tourisme de Mortagne-sur-Gironde.
Première Partie : les faits d’armes de « La Main Rouge »
Bien que l’histoire d’Owain (Yvain) ap Thomas ap Rhodri ap Gruffud ap Llewelyn-le Grand, le dernier descendant de la maison royale du Gwynedd (dans le nord du Pays De Galles)- se déroule loin du Pays de Galles, sur le continent européen, elle est néanmoins l’histoire d’une bataille pour le Pays de Galles. Vain était le petit-neveu de Llewelyn II (le dernier du nom). Ce dernier descendant de la maison royale du Pays de Galles –une dynastie dont le pouvoir politique prit fin le 10 décembre 1282 – fut tué près de Bordeaux en 1378, par un agent secret anglais, alors qu’il combatit pour les Français.
Nous ne savons quasiment rien du début de la vie d’Yvain. Né vers 1335, on a écrit de lui qu’il avait été envoyé en France tout enfant encore ; comme il seyant à un prince, il fut confié à la garde du comte d’Alençon, le frère de Philippe VI de France, et fut élevé avec ses enfants. Après une éducation militaire classique de cette époque, nous le retrouvons au service des Français à la bataille de Poitiers (Maupertuis) en septembre 1356, en tant que « chef de certains hommes d’armes » sur requête personnelle du roi de France Jean II. C’était alors la Guerre de Cent ans, lorsque les Français se battaient pour chasser les Anglais de leurs territoires sur le continent européen, et que ces derniers luttaient pour les conserver ; comme son nom l’indique, ce conflit ne devait s’éteindre que tard le siècle suivant.
Après Poitiers, Yvan rejoignit une « grande compagnie » et s’en fut combattre en Lombardie. Les Grandes Compagnies étaient des bandes de mercenaires venus de toute l’Europe à la suite des guerres incessantes et des invasions ; elles comptaient nombre de Gallois déshérités et impatients de venger leur pays meurtri.
En 1365, après la mort de son père, Yvain vint en Angleterre, et peut-être au Pays de Galles, afin de réclamer son héritage. Quelques mois après, il retourna en France ; il devait ne jamais revenir. Lorsque la guerre franco-anglaise reprit en 1369, Yvain soutint bien entendu la cause française. Il ne fut pas le seul. Un grand nombre de Gallois proclamèrent leur soutien aux Français ; leurs exploits, leur bravoure enthousiasmèrent les chroniqueurs français et passèrent ainsi à la postérité. Yvain fut déclaré traître à l’Angleterre et toutes ses possessions britanniques furent confisquées.
L’importance d’Yvain en tant que chef militaire pour le roi de France est reflétée par le titre de Capitaine-Général qui lui fut décernée en 1369, lorsqu’une flotte et une armée furent mises à sa disposition afin qu’il envahisse et libère le Pays de Galles.
Ces nouvelles d’une invasion imminente amenèrent Edouard III à renforcer ses châteaux gallois et leurs garnisons ; de plus, afin de priver Yvain de tout support, il fit remplacer tous les notables gallois par des hommes à sa dévotion. La grande flotte appareilla comme prévu de Honfleur, mais cette première tentative d’Yvain pour retourner chez lui fut déjouée par les féroces tempêtes hivernales et le projet fut abandonné.

En 1370, une expédition menée par sire Robert Knollys partit de Calais et mit le Nord de la France à feu et à sang, allant même jusqu’à Paris. Les rangs anglais, cependant, étaient divisés par les mutineries et Knollys se replia en hâte sur la Bretagne. Au sud du Mans, à Pontvallain, il fut défait par Du Guesclin, général en chef et connétable de France. Du Guesclin, avec Yvain sous ses ordres, reprenait l’un après l’autre tous les châteaux où les Anglais s’étaient réfugiés. Lorsqu’ils capitulèrent à l’abbaye de Saint-Maur, près d’Angers, Du Guesclin retourna à Paris et confia à Yvain le commandement de son quartier général à Saumur.
En 1371, Yvain et sa compagnie organisèrent la défense de la cité de Metz, contre le Duc de Lorraine et ses alliés. En mai 1372, une autre flotte était prête à Harfleur afin qu’Yvain retourna au Pays de Galles. Yvain profita de l’occasion pour l’occasion pour faire une proclamation solennelle de ses griefs envers la Couronne d’Angleterre, affirmant haut et fort : le Pays de Galles « est et sera à moi de plein droit». Il y remerciait également Charles V pour son aide et promettait de rembourser les francs-or que le roi lui avait donnés. Il proposait un traité établissant l’amitié et l’alliance perpétuelles entre le Pays de Galles et la France.
La flotte leva l’ancre en juin et attaqua Guernesey. Prévenue, la garnison avait pu se renforcer mais les troupes d’Yvain purent débarquer, et après une bataille féroce où les Anglais perdirent plus de 400 hommes, Yvain commença le siège de Château Cornet. C’est durant cette bataille, selon la légende, qu’Yvain acquit son surnom de Lâwgoh (« La Main Rouge »), dû à une blessure à la main et au bras.
Yvain attaquait Guernesey afin d’en faire une base où il pourrait attendre le soutien naval castillan qui devait l’escorter jusqu’au Pays de Galles, mais ses plans furent à nouveau déjoués par le destin.
Le 10 juin, le comte de Pembroke quittait Southampton avec sa flotte, ayant à son bord des vivres, des renforts et de l’argent pour les garnisons anglaises de Guyenne. La flotte castillane commandée par l’amiral gênois Ambrosio Boccanegra l’intercepta au large de La Rochelle et lui infligea une cuisante défaite. Pembroke et les chevaliers survivants furent faits prisonniers.
A la nouvelle de l’attaque anglaise, Yvain leva le siège le Château Cornet et appareilla vers le sud pour aider ses alliés castillans mais la bataille prit fin avant son arrivée. Yvain continua donc vers le sud et le 19 juillet il arriva à Santader. Immédiatement il alla trouver le comte de Pembroke et les autres nobles et les accusa d’avoir trahi son père, Thomas, en conspirant pour le priver de l’héritage qui lui était dû ; il se proclama à nouveau héritier légal de la Principauté du Pays de Galles. Il était tout à fait décidé à provoquer en duel Pembroke et les autres, mais cela ne put se faire car les Castillans comptaient obtenir une énorme rançon du roi d’Angleterre. Malheureusement pour Pembroke, aucune rançon ne fut jamais payée et il mourut en captivité en 1375.
Yvain demanda à Henri de Castille son soutien pour son retour au Pays de Galles et laissa éclater sa fureur devant le manque d’enthousiasme des chevaliers castillans pour une expédition vers un pays où les perspectives de butin étaient minces. C’est un Yvain désabusé qui rejoignit le blocus allié interdisant l’accès des forteresses anglaises du Poitou, Saintonge et La Rochelle.
La guerre s’intensifiait près de l’embouchure de la Charente où les forces de Du Guesclin s’étaient rassemblées après la défaite de la flotte de Pembroke. Une fois les Anglais repoussés jusqu’à Niort, l’armée française menaçait La Rochelle par voie de terre tandis que la flotte d’Yvain et des Castillans la menaçait par la mer.
Du Guesclin lança une attaque sur le château mal défendu de La Soubise, au sud de La Rochelle, mais une armée gasconne se précipita au secours de ce dernier et prit l’armée assiégeante française par surprise. Après une bataille brève et sanglante, le siège fut levé, mais, à l’insu des Gascons, Yvain se rapprochait. Il remonta la Charente avec une flotte de barges et, à la faveur de la nuit, prit les Gascons épuisés complètement par surprise, remportant ainsi une brillante victoire. Puis Yvain alla recevoir la reddition des derniers défenseurs du château. Les succès français s’enchaînèrent et le 8 septembre 1372, La Rochelle ouvrait ses ports aux alliés.
Une autre invasion du Pays de Galles sous le commandement d’Yvain fur planifiée. Durant le printemps 1373, une armada de bateaux, avec une armée de 6 000 hommes à leur bord, attendait un vent favorable dans les ports basques. Mais les projets d’Yvain furent une fois de plus déjoués.
Une année anglaise, sous le commandement de Jean de Gand, duc de Lancastre, partait de Calais pour secourir ses camarades d’Aquitaine en fâcheuse posture. Des ordres parvinrent à Yvain qui lui enjoignaient de poursuivre et harceler les Anglais pendant qu’ils traversaient une France dévastée par la stratégie de terre brûlée de Du Guesclin. A court de provisions, sans nulle part où loger, décimés par la faim et la maladie, ses traînards abattus par les attaques d’Yvain, l’armée bien diminuée de Lancastre, lorsqu’elle atteint Bordeaux à la Noël, n’était plus guère en état de combattre. En janvier 1374, il dût demander une trêve.
Yvain prit constamment part à des actions, sur terre comme sur mer. Il faisait partie de l’armée qui assiégeait Saint Sauveur le Vicompte dans le Cotentin, et il avait pris part à un autre combat victorieux sur la mer contre une flotte anglaise.
Au commencement de l’été 1375, les deux camps étaient épuisés. Une trêve d’un an fut négociée à Bruges, la guerre était donc momentanément arrêtée.
Yvain, soldat professionnel et pouvant compter sur la loyauté de ses troupes galloises, suscita l’intérêt d’Enguerrand de Coucy, comte de Soissons. Ce dernier était également le gendre du roi d’Angleterre et avait pour autre titre comte de Bedford. Il désirait récupérer des terres dont il avait hérité de par sa mère, mais qui lui avaient été confisquées par les Habsbourg, puissante famille d’Europe. Il avait réuni des troupes formées de vétérans de diverses armées : des Français, des Anglais désabusés, des Bretons, des Gascons, et des Gallois endurcis au combat, frères d’armes issus de tous les camps de la guerre.
Alors qu’ils traversaient la Suisse, vivant aux crochets du pays, les habitants de ce dernier en vinrent à ne plus supporter leur présence. Certes, les Suisses détestaient leurs maîtres autrichiens, mais ils craignaient encore plus ces « soldats de fortune » de De Coucy. Le 19 décembre, une attaque des hommes de La Lucerne à Buttisholtz anéantit presque l’armée de De Coucy, peu à son aise sur terrain peu familier. Le 27 décembre, la compagnie d’Yvain fut attaquée à la faveur de la nuit par une force venue de Berne, dans le campement qu’elle avait installé au couvent déserté de Fraubrunnen, dont plusieurs bâtiments prirent feu. De nombreux Gallois furent brûlés vifs. Les Suisses furent victorieux, mais Yvain et une bonne partie de ses troupes purent s’échapper.
De Coucy dut arrêter là sa campagne et retourna en France avec Yvain et ce qui restait de sa compagnie. L’année suivante, ils étaient en garnison à la ville de Reims, sans doute dans l’attente de la reprise des hostilités franco-anglaises.
Seconde Partie : La Campagne d’Aquitaine - Une fin tragique
Celles-ci se déclenchèrent au printemps 1377. La nouvelle campagne avait pour cadre l’Aquitaine ; les Français assiégeaient Bergerac. Les Anglais accouraient de Bordeaux à son secours. Au sud d’Eymet, ils furent interceptés par une armée française dont la brigade d’Yvain constituait l’ossature et subirent une lourde défaite. Après l’arrivée d’une énorme machine de siège française en dehors des murs, les défenseurs de Bergerac livrèrent leur cité au début du mois de septembre. Les Anglais ne contrôlaient plus la région et durent se replier sur leur place forte de Bordeaux.

Au printemps 1378, les forces d’Yvain se rapprochèrent de Mortagne-sur-Gironde, une forteresse qui commandait les accès maritimes vers Bordeaux. La capture de Mortagne aurait pour effet d’isoler la principale place-forte anglaise dans le sud-ouest de la France, la chute de Mortagne allait permettre à Du Guesclin de parachever l’isolement de cette ultime tête-de-pont anglaise au sud-ouest de la France. Avec ses murailles massives dressées sur une falaise surplombant la Gironde, Mortagne était inexpugnable par la force seule. Yvain prit immédiatement des mesures en vue d’un siège prolongé et fit construire des terrassements ou bastides, à la fois pour empêcher les défenseurs de sortir et pour fournir aux assiégeants une protection adéquate contre une éventuelle armée de secours. En tacticien et stratège expérimenté, Yvain construisit un système de défense sur quatre lignes.
Beaucoup de Gallois venaient se ranger sous la bannière d’Yvain ; ils étaient tous bienvenus dans sa compagnie. Lorsqu’un certain John Lamb se présenta avec des nouvelles du Pays de Galles, et désireux de prendre du service, Yvain l’accepta bien volontiers comme serviteur personnel. Il ne se doutait de rien. Le chroniqueur Froissart poursuit ainsi :
« Yuan (Yvain) avait pour habitude… le matin, lorsqu’il était éveillé et paré, de venir près du château et se peigner longuement, de s’asseoir et contempler le château. Lors un matin… il se leva et alla, ainsi qu’il en avait coutume, avec ce John Lamb à ses côtés. Lorsque Yuan se fut assis sur un tas de vieux bois, il dit à John : Va dans mes quartiers me chercher mon peigne pendant que je délasse quelque peu ici ». Et donc Lamb s’en fut et revint avec le peigne. Je pense qu’il était habité par le démon, car avec le peigne il avait amené un petit javelot espagnol, à large pointe d’acier, avec lequel il frappa Yvain, qui était assis, et le transperça de part en part, si bien qu’il tomba raide mort : son forfait accompli, il laissa le javelot dans le cadavre et se dirigea vers le château, car il connaissait les signes pour entrer ».
Lamb fut reçu par Lestrade, le commandant, qui en tant que soldat, était écoeuré par ce meurtre déshonorant perpétré de sang-froid. Lamb se défendit en arguant que le duc de Lancastre en personne lui avait ordonné de tuer Yvain. Lestrade n’avait d’autre choix que de lui accorder sa protection.
Le corps d’Yvain fut transporté par ses compagnons d’armes à la Chapelle de Saint-Léger où il fut enterré dans les terrassements. Les compagnons de Lamb furent impitoyablement massacrés par les hommes d’Yvain accablés de chagrin.
Après la perte de leur chef, les troupes d’Yvain, dirigées par son lieutenant Ieuan Wyn, continuèrent le siège, redoublant d’efforts pour prendre le château. La forteresse tint bon. Le 18 septembre, une énorme armée anglaise de renfort arriva à Mortagne. Ieuan Wyn et ce qui restait des troupes d’Yvain durent se replier jusqu’aux fortifications relativement sûres édifiées près de la Chapelle de Saint Léger ; là, ils se préparèrent à l’ultime combat près de la tombe de leur prince assassiné. Reconnaissant leur dévotion pour Yvain et leur courage exceptionnel, faisant preuve d’un grand esprit chevaleresque, le commandant de l’armée de secours, John de Neville, leur délivra un sauf-conduit. Ils quittèrent les murailles de Mortagne sous la bannière héraldique de feu leur prince et commandant, résolus à reprendre un jour le combat.
Ainsi mourut le dernier héritier de la maison de Gwunedd, universellement réputé pour son courage exceptionnel, ses talents de tacticien et son extraordinaire habileté diplomatique. Yvain se distingua par son charisme, son magnétisme personnel et ses talents innés de meneur d’hommes. Au Pays de Galles, il devint un héros populaire, l’archétype du redresseur de torts national dont les bardes écrivent les louanges ; en Europe, de manière assez incroyable, sa mémoire est toujours honorée, dans les poèmes épiques comme dans les chansons populaires. En engageant un égorgeur qui devint un de ses proches avant de l’assassiner de sang-froid, ses ennemis lui rendirent un grand hommage posthume (bien que de goût douteux). Un chef avec autant de prestige qu’Yvain, soutenu par la France, à la tête d’une armée galloise, et éventuellement, peut-être, avec l’assistance de la paysannerie anglaise – la Révolte des Paysans éclata en 1381 – eût été un danger mortel pour la couronne anglaise à ce moment-là. C’est pourquoi les Anglais l’abattirent, lui le dernier de sa lignée, comme ils avaient abattu les princes Llewelyn et Dafydd, et firent prisonniers la petite princesse Gwenllian, encore bébé, et les enfants de Dafydd. Cymru (le Pays de Galles) a souffert cruellement de nombre de persécutions sous les rois plantagenêts ; Yvain « Lâwgoch » est mort comme il a vécu, un vrai fils des Galles qui n’a jamais oublié.
Notes
L’assassin, John Lamb, fut payé 20 livres par l’échiquier anglais pour le meurtre d’Yvain et 522 francs d’or, comme un loyal fonctionnaire pour ses frais de mission. Ayant assisté aux derniers exploits des armées galloises et payé pour y mettre un terme, il mourut en 1413.
D’après certaines sources, Yvain a épousé une dame française, Eléonore, avec laquelle il a vécu un certain temps à La Gravelle, dans le Maine. Il n’est question d’aucun héritier, mais peut-être un descendant de Llewelyn le Grand et l’héritier de la maison royale de Gwynedd, joue-t-il aujourd’hui pour une équipe française de rugby, ou peut-être conduit-il une Renault ?
Lorsque l’héritier spirituel d’Yvain, un homme de même trempe et un homonyme, Yvain (Owain) Glyndûr, envoya des ambassadeurs à la Cour de France en 1405, le roi Charles VI leur dit combien il estimait et appréciait Yvain de Galles, Owain Lâwgoch, dont il gardait des souvenirs d’enfance. »