Sur les traces des pélerins à Talmont

Églises classées : Arces, Talmont, Grézac pour la crypte.
Église inscrite : Cozes.
Église romane : Épargnes.
Église non classée : Barzan.

 
Carte, Portulan de Petrus Vesconte

Carte, Portulan de Petrus Vesconte

 
Talmont : plan général de l'église

Talmont : plan général de l'église

 

Talmont-sur-Gironde, repliée sur elle-même en hiver avec une soixantaine d'habitants permanents, est le site le plus fréquenté du Pays Royannais à la belle saison. Son église romane bâtie au péril des flots est universellement connue. Elle était déjà le but choisi par les pèlerins allant en Galice qui avaient rendu visite au chef de Saint-Jean Baptiste à Saint-Jean-d'Angély.

Les moines clunisiens avaient jalonné la route de Compostelle de relais. Ils recommandaient aux pèlerins qui avaient prié devant les reliques de saint Eutrope à Saintes de continuer à pied vers Pons, Blaye et Bordeaux, ou de rallier Talmont pour se confier aux mariniers et franchir l'estuaire, remonter la Garonne ou gagner Soulac et s'embarquer vers l'Espagne.

 
 

Les moines bénédictins de Saint-Jean-d'Angély ont édifié, au XIIe siècle, à côté de la chapelle primitive dédiée à sainte Radegonde, une église de style roman saintongeais, épurée par la restauration de 1970, d'une beauté parfaite. La façade construite sur le flanc nord du transept est remarquable par l'harmonie de ses arcatures et la délicatesse de sa décoration. Des monstres marins mena-cent de gracieuses silhouettes féminines et une procession de fidèles encordés tente de vaincre un lion maléfique. La coupole de la croisée du transept est une véritable voûte céleste, l'abside une merveille de dentelle et le chevet à deux étages d'arcatures d’une rare élégance. La richesse temporelle de l'abbaye-mère a réalisé un ultime écrin de spiritualité avant la grande traversée du fleuve.

Sainte Radegonde inspire ce sanctuaire : cette princesse thuringienne, épouse royale, femme de Clotaire (fils de Clovis), devenue simple moniale à Poitiers au VIe siècle, a fondé le premier monastère de femmes de l'Aquitaine. Elle a accompli de nombreuses guérisons et miracles et notamment le sauvetage du pêcheur Floreius, que nous retrouverons à Floirac, village situé non loin de Saint-Fort-sur-Gironde (dédié à Fortunat, son protégé et biographe, devenu évêque de Poitiers). La fréquence de saints mérovingiens n'est pas fortuite. Radegonde bénéficiait d'un grand prestige.

 
Radegonde en prière, in Vita Radegundis

Talmont : Radegonde en prière,
"in Vita Radegundis"

 
Talmont : Floreius invoquant Radegonde

Talmont : Floreius invoquant Radegonde,
in "Vita Radegundis",
Manuscrit de sainte Radegonde, bibliothèque de Poitiers

 
 

La position extrême de l'église Sainte-Radegonde est très impressionnante : au bord de la falaise, face à l'immensité du fleuve, battue par les courants et les vents qui ont rongé les sculptures. Une partie de la falaise s'est écroulée, entraînant la façade ouest et une travée de la nef, éventrant la crypte. L'édifice fragile défie la mer qui fait peur.

Familles et marins dans la main de Dieu affrontent les puissances surnaturelles redoutées... L'homme de la mer partage sans doute avec l'homme du désert et celui de la montagne ces
traits : immensité, silence, solitude et intériorité. S'étonne-t-on, alors, si les côtes et les îles ont attiré les ermites et les moines ?

Michel Mollat du Jourdin


La Saintonge girondine a été longuement occupée par les Anglais au cours du Moyen Age, du mariage d'Aliénor d'Aquitaine avec Henri Plantagenêt qui devient roi d'Angleterre en 1154 jusqu'au XVe siècle, avec la période sanglante de la guerre de Cent Ans (1337 à 1453), où les combats firent rage dans cette région frontière. En vertu du traité de Paris (1258-1259) conclu entre le roi de France Louis IX et le roi d'Angleterre et duc d'Aquitaine Henri III, il avait été décidé que la Saintonge située au sud de la Charente devait revenir en fief au souverain anglais au décès d'Alfonse de Poitiers, frère de Louis IX, si Alfonse mourait sans héritier (ce qui advint en 1271). Louis IX tint parole, mais les rois suivants tentèrent de chasser l'occupant hors de France.

La guerre était si grande par le pays de Saintonge que des villes de Saintes, de Pons, de Mornac et de Talmont, personne n'osait sortir, en raison de ce que les Anglais couraient, tant de jour que de nuit, jusque devant les portes des dites villes, tellement qu'il convenait tous les matins, à l'ouverture des portes, de faire sortir des gens à pied et à cheval pour aller observer s'il n'y avait point d'embuscade dans la campagne afin que le pauvre peuple pût sortir en sécurité pour labourer à l'entour des dites villes.
Et on n'ouvrait que le guichet des portes des villes jusqu'au moment où on recevait des nouvelles favorables par ceux qui venaient des villages voisins.

Robert Favreau, op. cit

 

Talmont occupe une position clef à l'entrée de l'estuaire. Le roi anglais Edouard Ier avait acheté la ville en 1283 pour y bâtir une place forte. Unique bastide de Saintonge, ses murailles sont encore visibles, mais la Tour Blanche qui dominait le fleuve est ruinée. Un acte de 1342 indique les dépenses faites par le sénéchal de Saintonge pour acheter des pierres, du bois, des clous et du cuir pour réparer les murs, la porteet les trébuchets (dont quelques boulets de pierre demeurent dans le musée de Talmont-sur-Gironde).

D'autres vestiges remarquables existent à proximité, comme le site gallo-romain du Fâ, sur la commune de Barzan, avant-port de Saintes, Mediolanum Santonum, que restituent les photographies aériennes de J. Dassié. L'occupation du sol est très ancienne et continue. A l'époque néolithique les premiers hommes sont sur les hauteurs de la Garde où l'on trouve de nombreux silex taillés.

 
Talmont : trébuchet

Talmont : trébuchet

 
Talmont : vue aérienne église et cimetière

Talmont : vue aérienne église et cimetière

 
 

Les Gaulois ont vécu à flanc de coteau, en relation commerciale avec les Grecs ; les Romains ont bâti un temple au Fâ au même endroit, à proximité de leur forum et des thermes. Novioregum fut une ville de 150 hectares, y compris les horrea (entrepôts), et le port, où transitaient les marchandises venues d'Ibérie et du bassin méditerranéen par la vallée de la Garonne…
Une ville immense, pleine de marbre et de chapiteaux corinthiens, avec un théâtre, que l'on dégage peu à peu de terre. Au Moyen Age, la vie s'est établie plus bas, dans la presqu'île de Talmont, lieu stratégique plus aisément défendable.

 
 

L'église romane de Barzan, dédiée à saint Pierre, a été détruite, remplacée par un édifice du XIXe siècle.

Nous retrouvons une position stratégique à Arces-sur-Gironde (en latin : la citadelle), poste avancé des légionnaires romains défendant Novioregum (le Fâ). L'église romane est située sur le rebord du plateau, au-dessus de la source. Le Cartulaire de Vaux nous indique l'existence d'une villa, d'un domaine agricole, à l'origine de la paroisse et de l'église cédées par Arnaud Gamon de la maison de Mortagne à l'abbaye Saint-Etienne, vers 1090 :

J'ai transmis cette église, à perpétuité, de mon autorité à celle de l'abbé Bon et de ses successeurs. Moi, je l'avais eue et mes ancêtres qui la détenaient, depuis plus de cent ans, sans aucune contestation ni réclamation de personne.

 
Barzan : denier d'argent de Nerva

Barzan : denier d'argent de Nerva,
Rome, 97 Av J.C,
trouvé sur le site du Fâ

 
 

Une charte de la fin du XIIe siècle précise l'accueil à réserver au seigneur abbé de Vaux venant percevoir la dîme annuelle :

L'abbé doit conduire dix chevaux avec leurs cavaliers et six valets de pied. Quand ils descendent à Arces, ils doivent trouver de l'avoine dans les écuries et du foin ou de l'herbe, selon la saison, en abondance. Le cheval de l'abbé doit avoir un boisseau d'avoine, les autres chevaux, la moitié. Ce sont les serviteurs de l'abbé qui doivent s'occuper des chevaux. Le prévôt doit donner à l'abbé, à sa suite et à ses serviteurs, du bon pain, du bon vin en abondance, de la viande de porc, de bœuf, des poulets rôtis et lardés, avec la sauce qu'aura souhaitée le serviteur de l'abbé, mais seulement dans une mesure raisonnable, une cuisine des meilleurs poissons que l'on pourra trouver, et le soir, pour l'héberger dignement, du vin et des chandelles.

 
Barzan : vue aérienne du site gallo-romain du Fâ

Barzan : vue aérienne du site gallo-romain du Fâ

 
 

L'église d'Arces-sur-Gironde, dédiée à saint Martin, possède une abside admirable, aux chapiteaux violemment colorés, enchâssée dans une extension gothique.

Le plan cruciforme, bien visible à Talmont-sur-Gironde, est ici englobé dans un édifice plus vaste ; le clocher polygonal repose sur une coupole nervée et de solides piliers. L'autel est environné d'une riche décoration ; on y retrouve des motifs inspirés de l'église Saint-Eutrope : le Pèsement des âmes, personnages et serpents, oiseaux de proie harcelant des fauves, dragons et monstres. Le chevet à l'extérieur est finement travaillé, mais limité par le mur plat du chevet gothique. Un itinéraire de pèlerins franchissait la Seudre entre la Commanderie des épeaux de Meursac et Thaims, puis continuait vers Grézac, Cozes, Arces et Talmont. L'abbaye de Vaux percevait les revenus des églises de Thaims, d'Arces, et de Saint-Pierre-de-Grayan, sur l'autre rive de la Gironde. Le monastère Saint-Eutrope de Saintes avait un prieuré à Grézac, ce qui peut expliquer l'ampleur du sanctuaire de Grézac où se préparaient les fidèles qui allaient en pèlerinage annuel à Saint-Eutrope, le 30 avril. « On partait en avril et on revenait en mai », avaient joyeusement remarqué les paroissiens.

 
Arces plan église

Arces : plan de l'église

 
Arces : chapiteau peint

Arces : chapiteau peint

 
 

Non loin d'Arces se trouvait l'ermitage de l'Orivaux, fondé, vers 1050, par Guillaume, moine de Saint-Michel-de-Cluse sur un terroir qu'il avait défriché lui-même pendant sept années. Le monastère est passé ensuite sous l'autorité de l'abbaye de Saint-Jean-d'Angély. Il n'en reste rien si ce n'est la grotte initiale de l'ermite au bord d'un ruisseau traversé par un gué pavé.

A peine une lieue sépare les différentes paroisses de Talmont, Barzan, Arces, Cozes, épargnes et Grézac. Aussi ne sera-t-on pas surpris de retrouver de nombreux points communs. Le clocher de Cozes est une haute tour octogonale du XVe siècle, au toit pyramidal. La nef romane de larges dimensions est entourée de reconstructions multiples. Le chevet plat du XIIIe siècle est élargi par deux chapelles formant bas-côtés. La façade de cet important édifice date du XIXe siècle (à noter, sur le mur extérieur sud, un chapiteau évoquant la fable d'Esope du Renard et de la Cigogne).

La ville a conservé ses rues étroites de bourg médiéval fortifié. Au détour des ruelles ondécouvre les Halles, une vaste et très ancienne place couverte, dont la charpente vénérable repose sur de solides et rustiques piliers de bois. Les étals bancals sont respectueusement maintenus. Foires et marchés existent depuis le Moyen Age, et les textes sont nombreux sur la « cohue » de Cozes, une rente annuelle des foires et marchés, fixée à 22 livres 6 sous 8 deniers, en 1299, et que le seigneur de Mortagne cède à perpétuité au seigneur de Didonne pour 268 livres. En 1353, à cause des guerres, le marché du mercredi de Cozes et la cour de justice tenue par le prieur de Mortagne qui avait lieu au château de Cozes, sont transférés à Mortagne pour plus de sécurité. Ce bel édifice est à comparer avec les halles de Mornac, Rioux, Pisany et Chadeniers, proches du Pays Royannais.


 
Chapitaux

Arces : chapiteau, lions stylisés

 
CroquisCozes

Cozes : chapiteau renard et cigogne

 
 

Les deux paroisses voisines de Cozes, Épargnes et Grézac, possèdent chacune une église qui a été beaucoup remaniée mais qui mérite une visite, pour ceux qui aiment flâner sur les routes de campagne et qui aiment les sanctuaires surprenants.

La vigne et le sel ont fait la fortune de la Saintonge à partir du XIIe siècle, avec le développement du commerce vers l'Angleterre des Plantagenêts et les pays du nord de l'Europe. Le vin, le sel, les céréales, la forêt, la pêche ont permis ce réseau très dense de paroisses assujetties à des châtelains et vassaux qui les protégeaient moyennant taxes et corvées. Les châteaux ou leurs vestiges ne sont pas loin quand apparaît le clocher d'une communauté villageoise. En 1231, le chevalier Guillaume Pierre d'épargnes rappelle avec insistance à Pierre de Brie, prieur de Saint-Palais, qu'il est tenu de lui rendre chaque année un repas pour six hommes pourle tiers de la dîme du fief prévôtal perçu par le prieur, ou à défaut 6 sous à la fête de saint Georges, payables à la maison du chevalier.

L'église d'épargnes, romane, remaniée au XVe siècle, est dédiée à saint Vincent, patron des vignerons. Elle bénéficie d'une vue exceptionnelle sur la Gironde, facilitée par un escalier extérieur menant au clocher. Située à côté d'un imposant prieuré dépendant de Mortagne, la nef romane se poursuit par un chœur et une abside gothiques. Comme à Saint-Pierre de Royan, une crypte est placée dans le transept sud sous une chapelle. Cette crypte a été murée et transformée en confessionnal.

 
Epargnes : fresques

Epargnes : fresques

 
Epargnes : fresques

Epargnes : fresques

 
 

Sur les murs court une litre avec les blasons des seigneurs protecteurs comme à Grézac et à Mornac-sur-Seudre. Des pierres tombales sont plaquées sur les murs, sous la litre où se retrouve le blason des Banchereau de Brillouard. Sur le flanc nord du chœur apparaissent, dans les vestiges d'une fresque, de gracieux visages comparables à ceux de Saint-Savin-sur-Gartempe. Les fonts baptismaux placés dans le tambour cannelé d'une colonne proviennent sans doute du site gallo-romain du Fâ à Barzan.

 

L'église de Grézac est double, avec deux nefs juxtaposées reliées par d'énormes piliers soutenant une vaste charpente.

 

D'Espagne viennent les deux arcatures polylobées du portail, imitation des mosquées andalouses et des églises mozarabes. Des bas-reliefs romans sont réemployés sur la façade, dont une magnifique représentation du Renard et de la Cigogne des ysopets, déjà vue à Cozes. A gauche de l'entrée se dresse la demi pierre tombale impressionnante d'un chevalier de Longchamp. La merveilleuse surprise provient, sous l'abside romane finement ouvragée, de la présence d'une vaste crypte-ossuaire, accessible sous le chœur.

C'est une admirable salle dont les voûtes gothiques s'appuient sur une colonne centrale ornée d'un chapiteau saisissant : les visages ahuris des damnés en enfer. Le chapiteau de Saint-Pierre de Royan, au-dessus de la crypte-ossuaire non dégagée, représente plutôt les élus bienheureux. A Grézac, les regards hagards et les gros nez de tous les personnages visent à impressionner le visiteur.

 
Grézac : crypte, visage des Damnés en Enfer

Grézac : crypte, visage des Damnés en Enfer

 
 

Beaucoup d'églises possédaient une crypte-ossuaire : les seules accessibles sont celles de Grézac et de Médis. Des traces de peinture médiévale sont encore visibles à Grézac sur les murs et les voûtes. Une corniche à modillons fait le tour de la crypte, éclairée faiblement par quatre cheminées-fenêtres.